Lorsqu'il claquait la porte derrière lui, c'était terminé. Il réapparaissait toujours quelques jours plus tard, un bouquet de fleurs à la main, une boite de chocolats dans l'autre, les lèvres plâtrées par un sourire enfariné, le col imprégné par le parfum d'une autre.

Papa. Un héros qu'on détrône lorsque l'on a l'âge de comprendre qu'il n'est pas si glorieux qu'on le croyait. S'il est possible de se détacher de sa famille, il est impossible de la nier entièrement. Inévitablement, il hérite des caractéristiques de son père: ce talent familial de savoir fuir les problèmes avant qu'ils ne les rattrapent. Pour apprendre à les affronter de face, il lui faudra des années d'entrainement. Même à ce jour, il n'y parvient pas encore pleinement. Mais fuir ... Ça, il sait faire.

Il a commencé à courir peu de temps après avoir appris à marcher. La vitesse de ses mollets en a toujours impressionné plus d'un. Regardez le filer. Il va plus vite que la lumière. On dirait presque qu'il essaie de s'enfuir de quelque chose. Lorsque ses parents s'hurlaient dessus jusqu'à pas d'heure, il attrapait ses baskets et se jetait dans  l'étreinte de la nuit. Lorsque ses relevés de notes tombaient et qu'il fuyait les reproches de ses géniteurs, il se précipitait vers le parc, ne rentrant qu'à la mi-nuit. Lorsque son amant insistait pour développer leur relation, il attrapait sa veste et disparaissait quelques heures, le temps de se muscler les jambes et de se vider la tête en longeant le lac.

Dylan n'a jamais eu de problèmes dans sa vie: il a toujours su les fuir avant même qu'ils n'aient l'idée d'essayer de le rattraper. Lorsqu'une des pimbêches qu'il portait autour de ses bras au lycée essayait de se rapprocher de trop, il la remplaçait par sa meilleure amie. Lorsque sa mère lui faisait des reproches, il s'enfermait dans sa chambre pour n'en ressortir que le lendemain. Lorsque les professeurs l'agaçaient de trop avec leurs réflexions idiotes, il attrapait son sac pour aller fumer des joints derrière le parking avec les autres incompris du bahut.

Et puis, il y a eu Cas. Cas, ou la fournaise qui s'est allumée ... Là. Au fond. Une étincelle qui lui a donné l'impression d'exister, pour la première fois. Et lorsqu'ils s'embrassaient, le temps n'avait plus d'importance et le monde pouvait bien s'arrêter que ça ne lui aurait fait ni chaud, ni froid. Il y avait en Cas quelque chose qu'il n'a jamais été à même de retrouver ailleurs, ni avant, ni après. Mais avec Cas sont venues les exigences, et Dylan s'est remis à courir. Leur liaison a duré une nuit. Puis, six semaines. Puis une semaine. Puis trois mois. 

Et puis ... Les examens se sont terminés, et l'idée de devoir vivre sans Cas semblait étrangement moins alléchante que celle de vivre avec Cas. Alors il a décidé d'arrêter de courir, et de commencer à marcher. Il s'est mis à le suivre, dans ses mouvements. D'abord, vers New York. Ensuite, vers le mariage. Finalement, vers la relation ouverte.

Affirmer que Dylan vit bien les différences qui gangrènent leur relation serait mal le connaître. Ses valeurs et sa dévotion se confrontent en permanence, lui imposant de devoir choisir entre son identité et sa relation. Avec le temps, il a appris à se sacrifier, au nom de l'amour. À rester à New York, alors qu'il ne s'y habitue décidément pas. À en embrasser d'autres bien que son coeur et son corps ne battent que pour son homme. À se rendre sujet aux récits et clichés intimes de son époux, afin de le soutenir, dans ses projets.

Et plutôt que de fuir, Dylan s'est installé. Sa routine n'est peut être pas idéale, mais elle est confortable. En Cas, il a trouvé la réponse à cette question qui lui échappait, toutes ces années plus tôt. Il avait besoin d'une raison d'être. Sans Cas, il ne voit pas l'intérêt de continuer.