01

« Puisque je vous dis que c'est vrai ! J'ai été agressé par un fantôme. » Des regards amusés ridiculisent l'adolescent apeuré. Vêtu de lambeaux, le corps couvert de griffes, il persiste pourtant à revendiquer son histoire: un fantôme l'a agressé, et il en est la preuve. La police ne peut rien pour lui. Dépité, il se fait le serment de tirer le fin mot de cette histoire. À douze ans, Eli décide qu'il deviendra un jour enquêteur du paranormal.

02

La peur de la nuit. Frissonnant sous la couette, se tournant dans tous les sens, son corps s'agite au rythme de ses cauchemars.

« Non ... Non ... Non !»

Un cri qui perce le silence de la nuit. Il se redresse en sursaut, allumant hâtivement la lumière. Pantelant, son regard se tourne vers la porte. Son visage est inondé de sueur.

Toutes les nuits, cette même rengaine. Dans ses rêves, il n'échappe jamais à son fantôme.

03

« Eli ... Viens te coucher ... Il est tard ... »

« Attends. s'exclame-t-il alors. ... Regarde. Là. »

« ... Oui ? Eh bien ? »

« Bah, regarde ! Le visage, là, qui apparaît de nulle part ... Tu ne le vois pas ? »

« ... Eli ... Quand est-ce que ton obsession ridicule va se terminer ? Viens dormir. Il est tard. »

« ... C'est pas une obsession ... »

« Viens dormir ! »

Dépité, il se faufile dans le lit. Incapable de dormir, il se relèvera plusieurs fois dans la nuit. Dans la vidéo, le visage qu'il croyait avoir vu n'apparaît plus.

04

« Et sinon, tu fais quoi dans la vie ? »

Des yeux qui se perdent avec indifférence sur son visage printanier et juvénile.

« J'chasse les fantômes. »

Un silence accompagne un hochement de la tête légèrement inquiété. Portant la tasse de café à ses lèvres, il ignore la jeune femme qui l'observe comme s'il était fou.

« L'addition, s'il te plait. »

Visiblement perturbée, elle continue de le regarder en silence avant de vraisemblablement se réveiller.

« ... B ... B ... Bien, m'sieur l'chasseur de fantômes ... »

En allant chercher l'addition, elle fait signe à sa collègue: fais gaffe, il est timbré, celui-là.

05

« ... C'est quoi, ça ? »

« Quoi, Grindr, tu connais pas ? »

Ses sourcils se froncent par curiosité.

« Je peux voir, un peu ? »

Sans attendre de réponse, ses doigts arrachent le téléphone d'entre les mains de son colocataire.

« ... Hé ! »

Ses protestations sont trop tardives: voilà déjà qu'Eli arpente les couloirs de l'application. Quelques visages visages, tous plus mis en valeur les uns que les autres, avec évidemment quelques indésirables perdus au milieu de la foule d'images anonyme.

« Ah, tu as un nouveau message, je crois, je ... »

« Attends ! »

L'avertissement sonne trop tardivement. Le message est ouvert. Il s'agit d'une photographie.

« ... Oh. »

Il prend note du nom. Grindr. Il se pourrait que cette application l'intrigue davantage qu'il n'ose l'assumer.

06

« Mmmh ... Oh oui ... Encore ... Plus fort ! OUI ! OH PUTAIN OUI ! »

Des soupirs. Des râles. Des gémissements. Des murmures. Le bruit humide de lèvres trempées qui éclatent la peau fraiche et douce de ses épaules.

« Mmmh ... »

Perdus dans des ébats, leurs vêtements distraitement abandonnés au sol, les deux amants se découvrent pour la première fois. Happé par le moment, ses mains caressent les hanches de son partenaire, lui permettant de se redécouvrir à travers les râles de son partenaire. Soudain, quelque chose semble tomber au sol. Il s'interrompt.

« T'as entendu ça ? »

« Mmh ? »

Se redressant, alarmé, il enroule le drap autour de lui devant le visage confus de l'inconnu.

« Qui que tu sois, montre toi ! » s'exclame-t-il finalement. « Je suis armé ! »

« ... Euh ... Mec, tu parles à qui ? »

À travers la fenêtre ouverte, le vent chatouille le rideau ayant renversé un vase par terre.

« ... Je crois que je vais y aller, moi, hein ... »

07

« Je m'inquiète pour toi, tu sais ? »

« ... Pourquoi ? »

« On dirait que tu n'as pas mis les pieds dehors depuis une éternité ... Et puis, regarde ta tête, on dirait un cadavre ... Tu ne dors plus, en ce moment ? C'est quand la dernière fois que t'as pris une douche ? »

« ... Je peux pas dormir. Sinon, ils se réveillent. »

« Oh, Eli ... »

« Pourquoi tu ne me crois jamais ? »

« ... Je te crois, Eli. Je te crois. »

08

Au final, il préfère l'extérieur. Sentir la pluie glisser le long de sa peau. Entendre le vent siffler dans ses oreilles. Fouler la terre moite de ses pieds nus. Caresser l'écume du bout des doigts. Dehors, les fantômes ne s'aventurent que rarement.

09

« T'as jamais eu envie de t'en aller, toi ? »

Il s'arrête de griffonner sur la feuille à présent noyée sous les mots et les paroles. Son regard se redresse tandis qu'il demande, curieux:

« Partir pour aller où ? »

Un soupir.

« J'sais pas, moi. Ailleurs ? »

Il semble réfléchir longuement, avant de reporter de nouveau son attention vers la feuille.

« Les fantômes sont partout, tu sais. »

10

Aux moindres caresses, des visions violentes. De ce "fantôme" cruel aux désirs charnels. Du toucher de la mort dont il a été victime, tant d'années auparavant. Souillée jusqu'à la moelle, sa chair est morte. Malgré la détermination avec laquelle il poursuit sa vie, il n'échappera jamais à ce jour fatidique, derrière le gymnase de l'école, lorsque la lumière des toilettes s'est éteinte et que ses cris ont été étouffés par la main rugueuse de cet esprit cruel.