CHAPITRE I - Carried Off By Cold Winds, 21 Septembre 2013.La brise marine claque mes joues, me donne des forces. Les yeux rivés vers l'horizon, je contemple la mer, malgré le froid, malgré la peur. Cela fait dix bonnes minutes que je dois être ici, planté là à observer les vagues s'écraser sur les rochers ... Et comme je les envie, ces belles vagues lisses mais en relief. Je me mords la lèvre, méditant sur ce que je devrais faire, à présent. Il m'avait menti. Mike m'avait menti et il n'avait même pas eu la décence de me l'avouer. Et pourtant, les preuves en sont irréfutables. Il n'a pas quitté sa femme, certainement pas pour moi. Je le sais, maintenant. Pourquoi un prestigieux avocat ferait cela pour un jeune minet avec qui il vit une aventure depuis maintenant deux ans ? Cela n'a aucun sens. Absolument aucun sens ; après tout, deux années, c'est quoi, face à une vie ? Une famille, des enfants. À ses yeux, je ne suis rien de plus qu'un passe-temps ; un vulgaire loisir auquel prendre recours lorsqu'il a une minute de libre. Du moins, je n'étais que cela. Aujourd'hui, c'est fini. Je me suis résolu à rompre notre liaison. Je me suis décidé à terminer notre aventure. Ceci n'est pas une décision prise à la légère. Ce choix n'est pas inconscient. Au contraire, il est plutôt informé, médité sagement face à un paysage des plus apaisants. Lorsque je ne sais pas vers où me tourner, la nature me guide. Elle me dit quoi faire. Avez-vous déjà ramassé un coquillage sur le rivage, au bord de l'eau ? Avez-vous déjà collé votre oreille contre la paroi de celui-ci ? Avez-vous déjà entendu l'envoutante berceuse de la mer ? Vous me répondrez sans doute que oui. Avez-vous déjà tenté d'y répondre, au chant des vagues ? De verser vos plus lourds secrets à l'audition de ce même coquillage ? Ne l'entendez-vous pas qui vous répond ? Le vent ne vous porte-t-il pas conseil ? La mer, en vous engloutissant, ne vous filtre-t-elle pas les pensées pour rendre vos idées plus clairs ? La poudreuse terre mouillée ne vous revigore-t-elle pas lorsque vos orteils entrent en contact avec ? Le feu ne vous murmure-t-il pas de douces paroles lorsqu'il crépite dans votre cheminée ? Si vous êtes capables de me répondre réellement et sincèrement "non" à toutes ces questions ... Alors je vous plains. Car les éléments sont mon élément. Mon seul véritable amour. Mon seul refuge, mon seul havre de paix. Il n'y a qu'avec eux que je me sens bien. Il n'y a qu'eux qui me permettent de me sentir écouté. Apaisé. Ils ne me mentent pas. Ne me trompent pas. Ne me manipulent pas. Ils se contentent d'être là, de m'aimer, de me prendre tout entier. De me rendre leur. Oui, les éléments m'apaisent, et c'est grâce au vent que j'ai pu décider de ce que j'allais faire, aujourd'hui.
- Scar, attends ! Un sourire sournois vient hanter mes lèvres. Quel merveilleux surnom, celui qu'il m'avait choisi. "Scar" pour symboliser la cicatrice éternelle que j'avais creusé dans son coeur, apparemment. Si j'avais su, à ce moment là, qu'il parlait en réalité de celle qu'il creuserait dans le mien ... Je crois que je l'aurais refusé, ce surnom. Mike est là. Mike arrive. Mike s'approche. Je ferme les yeux, je veux l'ignorer, ne pas reconnaitre son existence ... Et pourtant, ses pas crissent dans le sable frais. Ses vêtements froissent le vent, qui ne manque pas de le leur dire. Il m'a retrouvé. Il faut dire qu'il devrait bien me connaitre, après deux années de liaison. Il faut dire qu'il devrait savoir que lorsque je ne me sens pas aussi bien qu'habituellement, je viens me réfugier sur la Plage afin d'être le plus proche de tous ces éléments qui me sont si chers. Je ne me retourne pas lorsqu'il avance, je ne me retourne pas lorsqu'il prononce mon prénom ; entier, cette fois-ci. Je ne me retourne pas non plus lorsque je peux sentir son souffle chaud dans ma nuque glacée, ni lorsqu'il répète mon nom une dernière fois, d'une façon implorante. Ce qui me pousse à me retourner, c'est le moment où il pose sa main sur mon épaule. D'une violence surprenante, là, je me retourne afin de lui faire face.
- Ne me touche pas ! Je te défends de t'approcher de moi ! Les larmes ont disparu de mon visage. Cela fait un bon moment que j'ai compris que cela ne servait plus à rien de les laisser couler à profusion pour lui. Mon regard est dur. Haineux. Assassin. Je le hais, je le hais, putain, qu'est-ce que je le hais ! Mais ça, je pense qu'il le sait. Je l'espère pour lui, sinon, je doute qu'il soit capable d'avancer bien plus loin que cela dans ta vie.
- Laisse moi au moins t'expliquer ...C'est trop pour moi. Violemment, je lui réponds :
- M'expliquer quoi, bordel ? M'expliquer quoi ? Tu t'es foutu de ma gueule et tu es incapable de le reconnaitre ! Je l'ai vue, de mes propres yeux, ta fameuse "ex-femme" ! Je l'ai vue, ta putain de femme, qui porte encore son alliance à la main gauche et qui pour la première fois en deux ans est venue rendre visite à son "mari" à son bureau ! Je l'ai vue t'embrasser lorsque tu es sorti la chercher, j'ai vu la tendresse avec laquelle elle t'a embrassé ! N'ose pas me dire que ce n'est pas vrai parce que je - vous - ai - vus. N'essaie pas de t'expliquer, c'est fini. C'est fini, je te dis.Muet, il semblait vexé. Blessé ... Mais surtout ? Déstabilisé. Comme s'il ne sait pas quoi rajouter d'autre. Comme s'il ne sait pas comment réparer cette erreur qu'il avait commise continuellement et ce, sur plusieurs mois. Il fait bien de ne pas savoir comment s'y prendre car toute négociation est impossible. Toute réparation est impensable.
- Scar, je comprends que tu sois en colère mais il faut que tu comprennes ...- Que je comprenne quoi ? Que tu ne voulais pas ternir ta réputation de "grand avocat du barreau" ? Épargne moi tes répliques à deux balles, Mike. T'es qu'un connard et tu le sais. Je n'ai pas honte de qui je suis, moi. Je n'ai pas honte de ceux que j'aime, et je te promets qu'un jour, je deviendrai un brillant avocat. Qui sait ? Peut être même que je serais plus respecté que toi. Et moi, au moins, je n'aurais pas à me cacher sous les jupons d'une femme que je suis incapable d'aimer. Parce que quoi que tu te dises, en rentrant le soir, pour te réconforter dans l'idée de ne pas la quitter ... Quoi que tu fasse, je sais que tu ne l'aimes pas. Si tu l'aimais, tu n'aurais jamais posé les yeux sur moi.Peu d'hommes hétérosexuels et heureux s'amusent à se jeter sur le premier jeune stagiaire qui met les pieds dans leur bureau, non ? Peu d'hommes hétérosexuels et heureux restent deux années à entretenir une relation avec un jeune homme pour lequel ils n'ont aucune affection. "C'est toi que j'aime. Ma femme, cela fait un moment que ça ne marche plus. Avant que tu ne débute ton stage, avant même que je ne te connaisse, nous étions déjà en train de divorcer." ou encore "Tu dois me croire lorsque je te dis qu'il n'y a que toi. Je lui ai avoué, d'ailleurs, pourquoi je souhaitais divorcer aussi vite : je veux être à toi, entièrement à toi et avec toi sans avoir à m'en cacher. Elle le sait. Elle sait tout. Pour les enfants ... On fera garde alternée. Elle n'est pas réjouie face à cette prospective mais je me battrai." Et encore, ces phrases ne sont qu'un échantillon de toutes les promesses intenables qu'il a su me faire, ces deux dernières années. Je le fusille du regard. Un con. J'ai été un con, à croire toutes ses belles paroles. À croire qu'un homme de trente-trois ans pourrait avoir envie de vivre une véritable histoire d'amour avec un étudiant âgé d'à peine vingt-cinq ans. Le voilà qui inspire. Le voilà qui ouvre sa bouche, et voilà que je riposte, une dernière fois :
- Ne parle pas, ne parle plus, ne m'adresse plus la putain de parole ! Je te jure que si tu ne me fiches pas la paix, Mike, je vais tout raconter à mon frère, et crois moi lorsque je te dis qu'il te pèterait la gueule s'il savait ne serait-ce que la moitié de toutes les saloperies que tu m'as fait endurer. J'ai la chance d'avoir un frère qui m'aime comme très peu de frères savent aimer. Malgré la différence d'âge de quatre ans, malgré mon homosexualité, malgré nos différences en choix d'orientation, un lien fort et pur nous a toujours unis, tant et si bien que je le sais prêt à braver toutes sortes d'obstacles pour mon bien-être. Mike aussi, le sait, après tout ce que j'ai pu lui raconter sur Fabio. Mike le sait très bien, et c'est pour ça qu'il resserre ses deux poings, sans doute furieux. C'est pour ça qu'il me crache un :
- Puisque c'est ce que tu veux. Avant de se retourner sur lui-même et de retourner sur ses pas. Je ne réponds pas. Je me contente de le regarder disparaitre, m'assurant que j'étais enfin libéré de lui, de son regard envoutant et de ses mots traitres. Pourquoi ? Pour que je puisse m'accroupir, au bord de l'eau, et chialer comme rarement j'avais chialé. Ça faisait longtemps que je n'avais pas pleuré comme ça, putain, et ... Ça fait du bien. Pourquoi, merde ? Pourquoi moi, j'ai jamais de chance avec ces connards de mecs ? Est-ce que c'est parce que j'ai choisi d'être homosexuel au lieu de le devenir naturellement ? Est-ce que c'est parce que je déteste mon père au lieu de l'aimer ? Est-ce que c'est parce que je préfère défier l'autorité plutôt que de m'y soumettre ?
Le soleil se couche. J'enterre mon menton entre mes deux bras. Silencieusement, j'observe les vagues, écoutant le chant des mouettes, me remémorant mon sombre passé.
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CHAPITRE II - Bury Me Under Your Earth, 13 Juin 2004.Des filets de soleil percent la couverture de branches dissimulant notre hérésie. Un battement de cils. Puis deux. Mes yeux s'ouvrent, petit à petit. Deux grands orbes émerveillés par ce qu'ils venaient de découvrir. Soupir. Mes lèvres frémissent de plaisir et de gel. Un monde nouveau m'a été révélé, hier. Un monde merveilleux m'a été offert. Mes doigts glissent le long de la roche contre laquelle je m'étais logé, quelques minutes auparavant. Caressent chaque vallon, chaque mont, chaque extrémité de la poitrine de Dario. Un sourire se dessine sur mes lèvres. J'ai gagné, papa ; j'ai encore gagné. Je frissonne déjà à l'alléchante idée de ramener ma dernière trouvaille à la maison. J'ai déjà hâte de découvrir la réaction de mon père lorsqu'il apprendra que son fils est une "tarlouze". Je jubile d'avance à l'idée de le blesser, lui et son satané ego à trois francs six sous. « Vous savez que le fils des Morelli fricote avec des garçons ? Je vous défends de l'approcher. Cela me tuerait qu'un membre de ma famille soit associé avec tant de bassesse humaine. Je suis horrifié de vous annoncer qu'ils ne comptent même pas l'envoyer en camp de redressement ... Comment peuvent-ils laisser passer un tel affront ? » Mon sourire s'élargit. Oh, papa, papa, papa. Comment laisseras-tu passer un tel affront ? Je meurs de curiosité face à la réponse à ma question, bien que j'avoue que les répercussions de mes actions m'effraient un peu. Je ne pense pas qu'il ait les couilles de me déshériter ou de me mettre à la porte, mais je me rends compte que je ne connais pas mon père si bien que cela. Ce n'est pas de ma faute s'il ne rentre jamais à la maison, après tout. Non, moi je me contente simplement de faire tout et n'importe quoi de mon côté pour le confronter à un chaos total à chacun de ses retours. Je l'aime comme ça, mon père, voyez-vous. Je glisse lentement mon index le long du torse de Dario Morelli ; je longe son cou, franchit son menton puis caresse la pulpe de ses lèvres tendrement.
- Oh, ne t'endors pas encore, matelot. Je lui souris, de mon plus beau sourire ; vous savez, celui qui fait fondre le coeur de toutes ces imbéciles au lycée. Dario a vingt-et-un ans, lui. Comment pensent-elles pouvoir avoir le niveau face à un étalon italien pur-sang ? Je dois vous faire un aveu, d'ailleurs : cela me gêne un peu que son sang soit italien à cent pour cent. Pourquoi donc ? Cela n'a rien à voir avec les preuves de sa virilité, non, loin de là - bien qu'en l'occurrence, cela aurait été plus désirable, pour une première fois, d'être confronté à moins de volume ... - mais plutôt avec le fait que mon père ne serait donc pas entièrement déçu de mon choix. Cela le tuerait, je pense, si je rentrais à la maison avec un espagnol ne possédant pas la moindre once de sang italien. Il est comme ça, mon père : il déteste ça, les espagnols. Les anglais, aussi. Sauf lorsque ceux-ci lui parlent chéquiers et association. Là, je peux vous garantir qu'il est toute ouïe. Un monde d'apparences. Je vis réellement dans un monde d'apparences, et je peux vous garantir que ce genre d'univers luit d'un vernis bien particulier : celui qui brille de l'extérieur, scintille, impressionne et fascine mais qui, au final, ne dissimule rien de plus consistant derrière sa paroi lisse et vernie. Mais revenons-en à Morelli. Revenons à ce moment fatidique ; à ce matin, où je suis allé le voir vêtu d'un simple short et d'un débardeur. C'est l'été, après tout ; pourquoi s'encombrer avec des vêtements inutiles et difficiles à arracher au moment propice ? C'est bien ce que je pensais. Revenons au moment où je lui ai demandé de m'accompagner pendant ma marche dans la nature, donc. Revenons au sourire malicieux que je lui ai décoché mais qu'il a dû percevoir comme un simple geste amical et inoffensif. Revenons à la pétillante étincelle de vie qu'il a dû percevoir dans mes yeux mais à laquelle il n'a pas prêté plus d'attention que cela. Oui, revenons à notre marche de quinze minutes, à nos pas dans la forêt ; revenons à mes doigts cherchant ceux de sa main, à mon regard plongé dans le sien.
Revenons au moment où il m'a embrassé.
Tout avait été calculé, de notre baiser à ses fougueuses caresses. De mes soupirs à son emprise farouche sur ma chair fraiche et fragile. Il ne le sait pas encore ; sans doute ne le saurait-il jamais ... Mais j'ai séduit Dario Morelli non pas parce qu'il me plaisait mais pour abrutir mon père. Le fait qu'il soit relativement beau et bien doté par la nature ? Ça, ce n'est que la cerise sur le gâteau.
- Je veux qu'on refasse ça, bientôt. Sourire innocent de ma part, sourire aux anges de la sienne. Il avait trouvé un amoureux, ce matin. Moi, j'avais trouvé un nouveau moyen de rendre mon père rouge de couleur. C'est gagnant-gagnant comme situation si vous voulez mon avis.
Nous devrions peut être y aller, il va commencer à pleuvoir. Il grogne, soupire, gémit, tout ce que vous voulez. Il me dit qu'il est bien, là, qu'il ne veut pas bouger même si le déluge est annoncé. Feignant un rire, je commence à remettre un à un le peu de vêtements que j'avais apporté avec moi. Ma première fois, et ce, dans la forêt ... Cliché et pourtant, moins magique que je m'y attendais. Du moins, c'est ce que je pense, ce jour là. Je ne peux pas savoir que je finirais par m'attacher à Dario. Je ne peux pas savoir que le sport que j'ai relevé comme une simple distraction effectuée pour faire enrager mon père deviendrait éventuellement un mode de vie. Je ne peux pas savoir qu'à feindre l'homosexualité, je finirais par ne plus avoir à faire semblant, un beau jour.
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CHAPITRE III - Burn Me With Fire, 28 Décembre 2004.Un feu crépite doucement dans la cheminée. Il lèche les buches qui l'alimentent, les consumant patiemment dans l'attente de l'arrivée d'une nouvelle proie. Les yeux rivés sur les flammes, je ne vois qu'elles. Je ne vois que les doigts rouges dansants et habiles caressant le bois qu'ils ont fait prisonniers. Je n'entends que le bruit granuleux de chaque parcelle de bois se détachant de leur "tronc", de leur noyau, petit à petit. J'ignore tout du monde avoisinant, de la voix de mon père, de son regard sévère et, même de la pluie battante sur les carreaux du salon. Il n'y a que moi, le rouge et la rage, aujourd'hui. Seule ma colère s'exprime en moi. Pour ma part, je reste muet. Sans voix. J'écoute, mais je ne comprends pas. Ou plutôt ... Je ne veux pas comprendre. Mon père avait demandé à me parler, une énième fois. Je me doutais bien que ce moment reviendrait, un jour où l'autre ... Mais autant que je m'y étais préparé, au préalable, je le redoutais tout de même. Je mentirais, d'ailleurs, si je n'avouais pas que maintenant que je suis ici, en face de lui ... Je suis pété de trouille. Ce n'est pas que mon père m'intimide. Il a cessé d'avoir la moindre emprise sur moi après que l'excellente thérapeute qu'il a eu l'idée de me prescrire - voyez-vous, il ne fait pas que des conneries, mon papa, quand bien même, hein - il y a un ou deux ans a su me défaire de l'attachement contradictoire que je lui vouais jusqu'alors.
- Je suppose que tu sais pourquoi tu es ici aujourd'hui.Je ne lui réponds pas, n'ayant pas réellement de réponse à apporter à sa question. À chaque fois qu'il veut me voir, lui, c'est pour me reparler de mes choix. De ceux que j'aime, de pourquoi je les aime. Il est persuadé que je suis en couple avec Dario uniquement pour lui tenir tête et, si cela s'était avéré vrai pendant ... Quoi ... La première semaine de notre couple ? Un peu plus ? Bref, passons, ce n'est pas là la question. Si cela s'était avéré vrai, donc, pendant un bref instant ... Cela n'est plus le cas et papa serait déçu d'apprendre que mes motivations à rester avec avaient rapidement changé et ce, contre ma volonté. Qui pouvait prévoir que je finirais par aimer que Dario me maitrise comme il sait si bien le faire ? (Non, parce que, ne nous voilons pas la face : ce n'est pas un mineur qui va prendre les devants avec un jeune homme déjà développé et mature, non, non). Si Fabio n'avait pas approuvé de ma relation avec Morelli au départ (façon de dire qu'il l'avait plaqué contre un mur et menacé de mort ... Aaaah, souvenirs, souvenirs), j'avais su le raisonner avec le temps. Papa ? On ne raisonne pas avec papa. On se soumet à sa volonté ou on la défie mais, avec lui, il n'y a pas de juste milieu. Je l'ai appris difficilement, mais assez bien pour que cette parcelle d'information soit ancrée en moi comme une partie même de mon identité. Plutôt que de suivre la convention, plutôt que de me plier à sa volonté, de m'offrir à lui en tant que pantin sage, silencieux et manipulable, j'ai donc décidé de créer mes propres règles et d'aller à l'encontre de tous les principes classiques de la hiérarchie familiale. J'ai décidé de me tourner contre mon père et ce, assez prématurément. Je devais avoir douze ans, la première fois que je me suis décidé à ne plus l'aimer. Il avait constamment ce besoin de s'assurer qu'il était le plus fort. Qu'il exerçait un certain pouvoir sur nous. Moi, ça me rendait malade. Pire, encore : ça me révoltait. Je détestais l'idée qu'il puisse me prendre comme un pion d'échec, incapable de me mouvoir librement sans qu'il ne choisisse où me poser ensuite. Incapable d'indépendance, d'autonomie. J'avais refusé de maintenir l'illusion que mon père détenait tout le pouvoir au sein de notre famille le jour où j'ai compris qu'il était, en réalité, un simple impuissant à la grande gueule. Il n'exerçait aucun réel pouvoir sur nous. Il n'avait aucun moyen de nous faire la pression autre qu'avec ses mots. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce qu'il nous aimait. Parce qu'il nous aime. Parce que même moi, après tout ce que j'ai pu lui faire subir, ces dernières années, il m'aime encore. Pourquoi est-ce que je lui mène la vie dure, dans ce cas, me demanderiez-vous ... Et à ça, je ne puis que répondre que c'est parce qu'il nous aime mal. Ce n'est pas de sa faute si ses parents ont toujours cru que l'argent et le pouvoir pouvaient résoudre tous les problèmes. C'est de la sienne, par contre, d'avoir fini par en croire de même.
Les bras croisés sur le torse, je feins de l'écouter sans réellement prêter la moindre importance aux mots qui sortent de sa bouche. Pour moi, c'est du pareil au même. Il me dit que la mascarade a duré assez longtemps. Que bientôt, j'aurais dix-huit ans, que je devrais arrêter mes conneries, me concentrer sur mes études et me chercher une fille de riche à épouser et à déplumer. Bien sûr, p'pa. Parce que tout le monde sait que j'ai l'habitude d'écouter tout ce que tu me dis de faire, évidemment. Je soupire. Je le regarde de façon vide, dénuée de toute émotion, de toute spontanéité.
- Sérieusement ?Et là, il me dit la phrase qu'il n'aurait pas dû dire. Il me dit le mot de trop.
- Je ne tolèrerai pas qu'une maladie comme ça continue de croitre dans ma famille, Oscar ! Je suis ton père, tu as le devoir de m'écouter !Le feu en moi grandit, petit à petit, me consume et, éventuellement, jaillit dans une explosion de mots tous plus colorés les uns que les autres.
- Je ne te dois rien ! Tu n'es rien à mes yeux et ne mérite rien de ma part ! Comment veux-tu que je puisse même songer à t'accorder mon respect si tu es incapable de m'en accorder ne serait-ce qu'un peu ? Comment veux-tu que je puisse cesser de te faire du mal quand tu n'as aucune scrupule à détruire mon bonheur tant que cela préserve tes apparences et ton compte en banque ? Tu me dégoutes. Je lui crache au visage avant de me rendre compte, horrifié, de ce que je viens de faire. Lui semble choqué, pour sa part. Et là ... Je m'apprête à m'excuser lorsque sa main gauche s'abat violemment sur ma joue. Je titube, fais un pas en arrière ... Puis deux, et me rattrape de justesse à la table basse se trouvant à ma gauche. Il ne me fait pas peur, cependant. Avec son regard assassin et sa force physique, il ne me fait pas peur. Le sang me monte au visage, mes yeux s'emplissent de larmes et je le regarde avec mépris avant de dire, d'un ton aussi calme que possible mais d'une voix frétillant d'émotion :
- Tu me dégoutes. Tu peux faire semblant d'être un bon père, tu peux berner la terre entière ... Mais moi tu ne me bernes pas. Je te connais, papa. Je sais que tu es un monstre. Dans moins d'un an, j'aurais dix-huit ans. À ce moment là, je partirais à l'université, et plus jamais tu ne me verras. Plus jamais tu n'entendras parler de moi. J'espère que tu seras bien content de toi, ce jour là. Il faudra que tu meure pour que je daigne revenir te voir, et encore, il n'est pas dit que j'aille à ton enterrement. J'avoue que j'y vais un peu fort, pour le coup. Je sais que je vais trop loin, et inconsciemment, je m'en veux, parce que je ne devrais pas être capable de lui dire ce genre de choses. Mais ce n'est pas mon père. Pas à mes yeux. Mon géniteur, certes. Mais pas mon père. Il ne m'a pas élevé, il ne sait pas m'aimer, et aussi dur qu'il puisse essayer de se rattraper, il ne pourra jamais être à la hauteur.
- J'aime Dario et tu ne pourras rien y faire. Ça te rend vert, hein, que ton fils soit un pédé ? Avoue que t'en es vert, papa. Je jubile à l'idée de lui faire du mal mais je tente de dissimuler mon amusement par précaution : il risque de me tuer, le cas échéant, et ce serait dommage parce que je n'ai pas encore fini de m'amuser avec mon petit copain.
Alors on va rester ensemble.Il est tellement surpris qu'il ne bouge pas, et je profite de ce moment pour remonter dans ma chambre, choisissant de m'y enfermer avant qu'il ne vienne me demander des comptes. Alors que je pose mon pied sur la première marche, cependant, il rétorque finalement :
- Tu ne mérites pas mon amour, Oscar. Tu ne mérites rien de moi. Vis ta vie. Attrape toi un SIDA. Ce ne sont plus mes affaires. J'abandonne.Non mais il se prend pour qui, lui ? Il croit sérieusement qu'il m'importe, son amour ? Je m'en tamponne - mais alors royalement ! - la nouille, de son amour, non mais sérieusement !
- En attendant, cela doit bien faire quatre ans que je suis incapable de te dire que je t'aime. Ce n'est pas sans raison. Je monte enfin. Je sais que je n'ai pas fini de payer pour cette conversation, loin de là ... Je sais que mes mots auront leurs répercussions un jour proche ou distant ... Mais dans l'instant présent, j'ai la sensation soulageante d'être libéré d'un lourd fardeau. L'impression de pouvoir réellement vivre ma vie comme je le souhaite.
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CHAPITRE IV - Drown Me With Rain, 07 Décembre 2013.Une pluie torrentielle me réveille en sursaut. Je halète bruyamment. Un cauchemar. Encore un de ces satanés cauchemars qui me hantent et qui me maudissent. Dedans ... J'ai rêvé que les éléments se retournaient´contre moi. Noyé dans l'eau, brûlé par le feu, enseveli sous la terre, emporté par le vent ... Mes quatre plus tendres amies déchaînées contre moi. Triste et sordide rêve. Je frissonne, m'enterrant dans le confort´de mes draps avant de me tourner sur le côté pour regarder mon petit-ami dormir ... Deux ans. Vous me croiriez, vous, si je vous dis que cela fait déjà deux ans que nous sommes ensemble ? Jamais une de mes relations n'a duré aussi longtemps que celle que je possède actuellement, avec Mike. Jamais une de mes histoires n'a su être aussi forte que celle que je vis. Me voilà donc, caressant sa douce crinière de boucles blondes. Le rythme de sa respiration m'apaise, me détend. Son corps dénudé me donne envie de lui, pour ne pas changer mes bonnes vieilles habitudes. Je souris. Ma main glisse le long de sa joue ... Deux ans, et je ne l'aime pas moins qu'avant. Pas pour le moins du monde. Chaque jour nouveau est un jour de découverte. Chaque jour nouveau me permet d'apercevoir une nouvelle facette de lui ; une facette qui me permet de mieux l'aimer, mon Mike. J'ai envie de le couvrir de baisers mais j'ai peur que ça ne le réveille ; il est comme ça, mon bébé : il a souvent sommeil mais son sommeil est toujours léger. Je le contemple dormir, un certain air de fierté affiché sur mon visage. Lui, il est à moi. Lui, il m'aime. Lui, il a divorcé pour pouvoir être avec moi. Tant pis s'il se réveille parce qu'il mérite vraiment que je l'embrasse.
Une pluie torrentielle me réveille en sursaut. Je halète bruyamment. Un rêve. Encore un de ces satanés rêves qui emplissent mon coeur de faux espoirs et de désirs. Encore un de ces délicieux rêves auxquels on romprait le cou sans hésitation s'il s'agissait d'animaux. Une goutte de sueur perle sur mon front. Ce rêve est mon pire cauchemar. Ma plus grande hantise. Pire encore que la présence de mon père, pire encore que l'absurde notion que les éléments me trahissent ; pire encore que l'idée de la mort elle-même. J'aime Mike ; j'aime
encore Mike et me rendre à l'évidence ne fait pas de moi quelqu'un de plus faible. Je me redresse doucement, à présent assis sur le lit, ma main gauche plaquée contre mon front. J'inspire. J'expire. J'inspire. J'expire à nouveau.
Calme toi, Ozzy, calme toi. Ce n'était qu'un rêve. Il ne peut plus te faire du mal, dorénavant. J'espère que c'est vrai. Quelque chose me dit que je ne le reverrai plus jamais ... Et pourtant, je mentirais si je disais que je n'en meurs pas d'envie. Me levant péniblement de mon lit, je m'enroule dans ma couette, n'ayant pas songé à me coucher avec des vêtements. Plus tôt, dans la soirée, je n'en avais pas vu l'utilité, étant donné qu'il faisait, en somme, meilleur temps que les jours précédents. Je regarde l'heure. Trois heures du matin. Cela ne m'étonne pas que j'ai une migraine terrible si je n'ai dormi que trois heures avant mon réveil brutal. J'enfile alors les chaussons posés du côté gauche de mon lit, abandonnant mes draps au profit d'un peignoir en soie bleu roi jonchant jusqu'à lors le sol de ma chambre. Marchant d'un pas hésitant hors de la pièce, j'ai besoin de prendre une douche : je sais que dormir ne sert plus à grand chose, étant donné que tout rêve de Mike a la fâcheuse tendance de me bouleverser au plus profond de mon être. Tant pis, j'arriverais en cours épuisé, demain matin. Ce n'est pas comme si je ne rêvais jamais de lui, après tout.
- Bah alors ... Tu dors pas, toi ?Ma tête se tourne en direction de la lumière, surpris, avant de reconnaître mon interlocuteur. James. Mon beau britannique.
- Mauvais rêve ... Je pense que je vais prendre une douche et me mettre à bosser un peu. Ça tombe bien, je dois m'avancer dans mes révisions.James. L'homme que j'avais rencontré trois semaines après ma rupture avec Mike, le seul homme qui avait su me faire rire et me changer les idées suite à ma rupture avec l'avocat. James. L'homme le plus tendre et prévenant que j'ai eu le plaisir de rencontrer de ma vie entière. James. Le seul homme capable de me faire l'amour comme s'il avait désespérément peur de me perdre. Celui qui a toujours peur que je n'aie pas assez bien dormi, qui a toujours envie de s'assurer de mon bonheur ; celui qui n'hésite pas à passer l'aspirateur pour m'aider à me concentrer sur mes études alors que lui-même devrait en faire de même avec les siennes ... Mon James ; mon prince charmant. N'a-t-il pas l'air tout simplement parfait ? Oui, hein. J'ai gagné au change, avec celui-ci. Et pourtant une profonde douleur se réveille en moi dès que mon regard croise le sien. Mon coeur s'arrête à chaque fois que ses doigts chaleureux caressent mon dos gelé. Mes yeux pleurent dès qu'il s'endort après m'avoir « aimé ». Aussi parfait et adorable que James puisse sembler, ce n'est pas Mike, et je le sais. Pire, encore ? Lui-même le sait, et cette nouvelle me détruit au plus profond de mon être. Il m'aime. Je pense que je peux maintenant le dire avec certitude ... Mais je suis un monstre et je suis incapable de l'aimer car mon coeur est toujours brisé par mon ex. Je ne sais pas ce qu'il m'est passé par la tête de me mettre avec lui car, indéniablement, bien que son étreinte me fait énormément de bien, notre relation ne durera pas une éternité ... Et je me déteste déjà parce que je sais que je ferais souffrir cet homme phénoménal, quoi qu'il en soit. Si seulement c'était lui que j'avais rencontré, il y a deux ans, et pas Mike ... Là, c'est sans hésiter que je vous garantis que j'aurais pu l'aimer.
- Je peux venir avec toi ? J'ai besoin de me redonner un peu d'énergie si je veux finir ce mémoire pour demain.Je lui souris faiblement. Puis, sans même le regarder dans les yeux, je lui réponds :
- Bien sûr. Je t'attends. Sans dire un mot, voilà que je me dirige vers la salle de bains. Je referme la porte derrière moi, fais couler l'eau ... Puis, je me mets à larmoyer, un peu, pas beaucoup. Je pleure de fatigue, de douleur, de déception ... Car je ne veux pas blesser un type bien comme James. Ça me détruirait encore plus que ce n'est déjà le cas, je crois.