1 △ ÊTES-VOUS NÉS À OJAI?
Eh bien ... Oui. Même si je n'en suis pas fier. Les choses, ici ... C'est plat, pour être honnête. C'est tellement ennuyeux que y'a des jours où on a envie de se pendre. Il y a si peu de gens ici qu'on a souvent du mal à trouver des choses à se dire, avec le temps et, certes, les décès et les venues de sang nouveau ont fait leur magie et m'ont distrait de temps à autres, mais cela ne change pas le fait qu'à Ojai, je n'ai jamais rien eu d'autre à faire que de cultiver mes patates. Mes parents étaient des cons. Une névrosée occupée à pleurer tous les jours parce que son mari la trompait, un gros porc toujours à la recherche d'une jeune minette aux cuisses écartées, autant dire que leurs histoires me passaient au dessus de la tête et ne me regardaient plus à partir du moment où j'ai commencé à être plus mature qu'eux. S'il y a bien une chose que j'ai appris, dans cet endroit pourri, c'est qu'on finit tous par crever et qu'il ne nous arrive jamais rien d'extraordinaire. Je n'ai pas eu d'amis, plus jeunes, et je ne m'en plains pas vu que la moitié de ceux qui vivaient ici avec moi sont morts à l'heure actuelle. Ojai, c'est le paradis des enfers. Ojai, c'est une partie de moi.

2 △ DEPUIS QUAND FAITES-VOUS PARTIE DU COMPLOT?
Un couple de jeunes mariés est arrivé. Mes parents sont morts. En fouillant dans notre grenier, j'ai trouvé quelque chose qui n'aurait jamais du croiser la trajectoire de mes mains. Ou alors, c'était le destin, je ne sais pas et je ne veux pas savoir ... Des lettres, des preuves, des messages ... Tous leurs secrets, toutes leurs pensées, secrètement dissimulées dans une boite en fer rouillée comme leurs coeurs et verrouillée avec un gros cadenas qu'il ne me fut pas très facile de briser. Et ce que je découvris dedans me glaça le sang. Le fait de voir qu'il y avait un moyen ... Un moyen d'être plus qu'un simple habitant d'Ojai, et qu'on ne m'en avait jamais parlé ? C'était impensable. Et donc, j'ai manipulé. J'ai tiré mes ficelles. J'ai su comment faire pour me retrouver seul, en tête à tête, avec la vieille peau. Et je lui ai dit ... Je lui ai dit : "Rosewood. Je sais tout. Et je veux être de la partie." Et au début, elle faisait mine de ne pas comprendre, bien que son expression coincée et agacée trahissait ses pensées. J'ai argumenté. Nous avons discuté. J'ai réussi à m'incruster dans le complot. Mais je ne suis pas dupe : je sais qu'à la moindre opportunité, elle se débarrassera de moi. Et je compte bien ne pas me laisser faire, quitte à la taire de façon définitive. Mais ça ... Ça, je n'ai pas le droit de le dire. Sinon, on me coupera la tête.

3 △ COMMENT RESUMERIEZ-VOUS VOTRE VIE MAINTENANT ?
Tous les matins, je me réveille, à la bonne heure. Je vérifie que tout va bien dans mon jardin, et s'il y a de nouvelles patates bien mûres et prêtes à aller sur le marché, je les charge dans un petit sac, ou, parfois, dans ma brouette. Puis, je fais la ronde du village et je salue tous les autres habitants de la ville. Ceux qui me connaissent depuis que je suis né. Ceux que je connais depuis qu'ils sont nés. Ceux qui ne me connaissent pas encore mais dont je sais tout car nous les surveillons depuis leur arrivée. J'agite de la main, je souris, je fais en sorte d'être monsieur tout le monde, "mister potato", l'ami des survivants humains d'Ojai ... Mais je ne m'attache pas car je sais qu'ils finiront par mourir. Comme mes parents. Tous les matins, je me réveille, et je me demande combien de temps il me reste avant que la mort ne vienne me dérober à cette position de pouvoir. Et cette boule dans ma gorge me dit que ce n'est pas longtemps.

hors jeu

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