[ un ]
À l'horizon, les vagues vont et viennent.
Parfois, j'aimerais qu'elles m'emportent aussi. Leur vie a l'air si simple. Constantes et immuables, rien ne peut leur résister. Lorsque nous serons tous morts et enterrés, elles continueront à danser librement avec le sable et les rochers.
À l'horizon, les vagues vont et viennent.
J'aimerais bien que ma mémoire revienne.
[ deux ]
Fixer l'écran, se perdre sur la page, travailler, assidument, comme si la vie en dépendait. Il y a de la gratitude, dans l'air, chaque matin. La jubilation de pouvoir s'épanouir dans un environnement qui veut réellement de moi.
Je vois les allées et les venues dans le bureau. Les silhouettes floues qui se succèdent, heure après heure et jour après jour dans le centre des deuxièmes chances. Il y a quelques mois à peine, j'étais de l'autre côté de la porte.
Il y a de la gratitude, dans l'air, chaque matin.
[ trois ]
Lorsque je suis livré à moi-même, je me concentre. J'essaie de me remémorer ce passé qui m'échappe sournoisement. Je repense aux images, aux paroles, aux photographies ... Peu à peu, des souvenirs se dessinent. Puis, je les renie, car ils ne me ressemblent pas. Puis-je vraiment me souvenir de quelqu'un qui n'est pas moi?
Lorsque je suis livré à moi-même, je me concentre. Dans mon ignorance, je cherche ma délivrance.
[ quatre ]
Plus je te repousse, plus tu me poursuis. Pourchassé comme une proie, je me voile derrière mes doutes et mes insécurités. Pourquoi me suis-tu lorsque je me renie moi-même? Que cherches-tu en moi que tu ne saurais trouver ailleurs? Pourquoi ton sourire étincelle-t-il comme toutes les étoiles du ciel?
En sécurité dans tes bras, je suffoque, lorsque tu es loin de moi. Alors va t'en. Je ne mérite pas de choses belles comme toi.
Plus je te repousse, plus tu me poursuis.
[ cinq ]
Lorsque mon reflet me regarde, il me glace le sang. Le garçon dans le miroir ne me présage rien de bon. Je le vois, à la lueur de ses yeux, qu'il n'a pas que de bonnes intentions. J'essaie de le tenir éloigné des choses que j'aime, mais il finit toujours par s'échapper lorsque je m'y attends le moins. Je ne peux pas être tenu responsable de ses erreurs de jugement. Je ne veux pas être inculpé pour les crimes de ce mauvais garnement. Le garçon dans le miroir ne me présage rien de bon.
[ six ]
Je dors mal.
Depuis l'hôpital, je dors mal. Les rêves interrompent mes nuits. Ce ne sont pas des rêves, en réalité. Appelons-les plutôt pour ce qu'ils sont réellement: de la torture psychique.
Un rêve en particulier a une récurrence troublante. Il commence toujours de la même façon: avec ce lit blanc et ce plafond immaculé. Le rideau est mal fermé et le soleil m'aveugle. Je veux me lever pour refermer le rideau avant de me rendre compte que je suis de nouveau paralysé.
Puis je hurle.
Il commence toujours de la même façon: avec ce lit blanc et ce plafond immaculé.
[ sept ]
Il y a certaines choses qui sont impossible à oublier. Malgré tous les succès qu'une vie promet, ses pires échecs restent comme gravés dans la chair. Je me demande si tout le monde connaît des périodes ténébreuses, comme j'ai pu en avoir. Je me demande si
lui voudrait encore de moi s'il savait tout de mon passé.
Je me souviens de la boite en carton et du pont qui servait de refuge, l'hiver. Il y a certaines choses qui sont impossible à oublier.
[ huit ]
La pluie s'abat sur la pierre tombale sans remords ni regrets. Un parapluie fermé à la main, on laisse à l'eau l'opportunité de s'abattre impitoyablement sur nous.
Je ne mérite pas de vivre.
Et tu ne méritais pas de mourir.
Je m'en veux de ne pas me rappeler de toi. Je m'en veux également de ne pas savoir vivre sans toi. Comment est-il possible que tu me manques autant alors que je me remets à peine ton visage?
Je m'accroche à ce que tu représentes davantage qu'à celui que tu étais. On me dit que tu étais mon frère. Et tu ne méritais pas de mourir.
[ neuf ]
Un certain malaise s'installe lorsqu'on a l'impression de s'imposer quelque part. Un sentiment d'être de trop. De ne pas être à sa place. Pire, encore: celui de ne pas mériter cette place. Comme un imposteur, à qui la vie aurait trop souri, alors que d'autres imbéciles mériteraient davantage cette opportunité.
On se retourne pour vérifier qu'
il n'a pas disparu. On se pince ensuite, pour s'assurer que ce qu'on vit est bien réel. On fait de nouveau face à l'armoire à moitié vide qui nous attend à présent. Puis, on attrape le pull posé au sommet de la valise pour l'accrocher à un cintre.
On se pince ensuite, pour s'assurer que ce qu'on vit est bien réel.
[ dix ]
Lorsque mon reflet me regarde, il me glace le sang. Le garçon dans le miroir, je ne le reconnais pas. Cela fait des mois que je le cherche, au fond de moi ... Mais ça ne sert à rien. Il faut bien que je me rende à l'évidence, un jour: il est parti, depuis longtemps, et je ne le reverrai très certainement plus jamais.
Difficile de faire le deuil d'une personne qu'on n'est plus lorsqu'on n'a jamais réellement eu l'opportunité de l'être en premier lieu. Délicat d'enterrer une vie passée dont on ne garde que quelques maigres souvenirs depuis la sortie du coma. Le garçon dans le miroir, je ne le reconnais pas. Ça fait des mois que je le cherche, au fond de moi ...
Je me dois désormais d'apprivoiser celui qui a pris sa place.